20 Décembre 2018

Pollution a l’ammoniac : 248 points noirs repérés par IASI

En analysant les mesures réalisées par le sondeur atmosphérique IASI, une équipe franco-belge a élaboré la 1ère carte mondiale des émissions d’ammoniac précise au km carré près. 248 points noirs ont été identifiés dont 85 % sont liés à l’élevage intensif et la production industrielle d’engrais azotés. Ces résultats sont parus le 5 décembre 2018 dans la revue Nature.

Carte mondiale de l’ammoniac mesuré par IASI pendant 9 ans (2008-2016). Encerclées de noir, les 248 sources ponctuelles d’ammoniac identifiées. Une version interactive est disponible sur le site de l'Université libre de Bruxelles. Crédits : M. Van Damme et L. Clarisse / ULB.

Développé par le CNES, le sondeur infrarouge IASI n’avait pas été prévu pour cela. Il n’avait pas été conçu pour mesurer l’ammoniac depuis l’Espace. « Au départ, nous ne pensions pas détecter l’ammoniac car son signal d’absorption dans l'infrarouge est extrêmement faible. De plus, une fois émis, l'ammoniac ne reste que quelques heures dans l’atmosphère. Mais l’accumulation des mesures nous a permis en 2008 d'isoler la signature de l'ammoniac du bruit de fond de l'instrument et, ensuite, d’augmenter la précision des observations en moyennant sur plusieurs années  » indique Cathy Clerbaux, directrice de recherche CNRS au laboratoire Atmosphères, milieux, observations spatiales (LATMOS).

10 ans plus tard, un nouveau pas a été franchi avec la publication de la 1ère carte mondiale d’ammoniac précise au km carré près. Pour atteindre cette résolution spatiale, les chercheurs ont utilisé une méthode dite d'oversampling pour traiter les données récoltées entre 2008 et 2016 par l’instrument IASI présent à bord du satellite météorologique européen Metop-A.

Le sondeur IASI est présent sur 3 satellites en orbite polaire : Metop-A, Metop-B et Metop-C respectivement lancés en 2006, 2012 et 2018. Crédits: CNES/REGY Michel, 2018. 

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Mesures effectuées par IASI sur Metop-A les 20 et 21 juillet 2016 sur le Nord de l'Italie. Chaque ellipse a une surface allant de 113 à 612 km². Grâce au léger décalage du satellite d’une orbite à l’autre et l'utilisation d’une méthode d'oversampling, les chercheurs ont affiné la résolution spatiale jusqu’à obtenir une carte au km carré près. Crédits : M. Van Damme et L. Clarisse, ULB (IASI)  / Google Earth and Landsat / Copernicus in Nature.

IMPACTS DE L'AGRICULTURE INTENSIVE 

Cette finesse spatiale a permis d'identifier 248 sources ponctuelles d’ammoniac (de diamètres inférieurs à 50 kilomètres) dont les deux tiers étaient passées sous les radars jusqu’à présent. Excepté une source d’origine naturelle en Tanzanie, elles ont toutes été reliées à des activités anthropiques, majoritairement à la production de fertilisants et à l’agriculture intensive. L’ammoniac (NH3) est en effet un composé chimique émis par les déjections des animaux et les engrais azotés utilisés pour la fertilisation des cultures.

Parmi les 248 sources d’émissions identifiées, 130 correspondent à des usines de fabrication d’engrais chimiques et 83 à des zones d’élevages intensives.

De nombreux parcs d’engraissements de bovins et de porcs, dotés d’énormes fosses de stockage des déjections, ont par exemple été identifiés en Amérique Centrale et du Nord. En Amérique du Sud, ce sont des fermes d’élevage intensif de poulets qui ont été répertoriées comme sources importantes d’ammoniac » précise Martin Van Damme, chercheur à l’Université libre de Bruxelles (ULB) et 1er auteur de l'article paru le 5 décembre 2018 dans la revue Nature.

De vastes zones d'émissions d'ammoniac ressortent également, la plus étendue étant celle de la vallée du Gange. Cette zone, qui inclut le Pakistan et le nord de l’Inde, combine élevage et agriculture intensives, feux domestiques et feux de résidus agricoles, et de nombreuses usines de production d’engrais. En Afrique de l’Ouest, les fortes émissions résultent des feux de végétation et de l’agriculture sur brûlis. En Europe, les vallées du Pô et de l’Ebre se distinguent particulièrement. 

Emission d'ammoniac au-dessus d'une ferme intensive d'élevage de poulets au Pérou. Crédits : M. Van Damme et L. Clarisse, ULB (IASI)  / Google Earth / DigitalGlobe in Nature.

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En haut : évolution des émissions d'ammoniac mesurées par IASI entre 2008 et 2016 au-dessus d’une source ponctuelle apparue en Chine. En bas : images acquises par les satellites Landsat montrant la construction et la mise en service d’un complexe industriel dédié à la fabrication d’engrais azotés. Crédits : M. Van Damme et L. Clarisse, ULB (IASI)  / Google, Nasa (Landsat).

Des émissions largement sous-estimées

Outre une localisation de nouvelles sources d’ammoniac, les données d’IASI montrent que les niveaux d’émission sont très largement sous-estimés.

Nous avons trouvé des émissions jusqu’à 500 fois supérieures à celles répertoriées dans les inventaires  utilisés couramment par les scientifiques.

Les cadastres d’émission sont peu précis et la surveillance globale et systématique de cette espèce est difficile. De plus, dans de nombreuses régions du monde, les émissions d’ammoniac n'étant pas réglementées, les mesures locales sont inexistantes. L’observation spatiale va pouvoir aider à une meilleure connaissance et surveillance de la pollution par l’ammoniac » explique Cathy Clerbaux, co-auteure de l’article.

Polluant atmosphérique, l’ammoniac joue un rôle important dans la formation des particules fines PM 2,5 (de diamètre inférieur à 2,5 micromètres), les plus dangereuses pour la santé car pénètrant profondément dans les voies respiratoires.  « L’excès d’ammoniac dans l’environnement contribue aussi à l’acidification et l’eutrophisation des écosystèmes, conduisant à une perte de biodiversité » souligne Martin Van Damme.

Référence bibliographique

Industrial and agricultural ammonia point sources exposed. Van Damme, M., Clarisse, L., Whitburn, S., Hadji-Lazaro, J., Hurtmans, D., Clerbaux, C., Coheur, P.-F. Nature, le 5 décembre 2018. DOI: 10.1038/s41586-018-0747-1.

Contacts

  • Cathy Clerbaux, chercheuse CNRS au LATMOS, cathy.clerbaux at latmos.ipsl.fr
  • Martin Van Damme, chercheur à l’ULB, mvdamme1 at ulb.ac.be 
  • Pierre Tabary, responsable du programme Atmosphère Météorologie Climat au CNES, pierre.tabary at cnes.fr